De 1666 à 1871 : une place centrale
La fondation de la ville de Lorient commence en 1666 avec comme objectif de recevoir les marchands et les marchandises arrivant de la Compagnie française des Indes orientales. Au cours des décennies, les landes laissent place à des habitations élégantes, des remparts et grands édifices autour d’un port militaire de plus en plus structuré. Voici l’évolution de cette place qui a eu plusieurs dénominations pour devenir aujourd’hui la place Alsace-Lorraine :
1703 : La place apparaît sur les plans de la ville sur une partie du domaine du Faouëdic dénommée La Plaine qui n’est en fait qu’une étendue non habitée.
1755-57 : Premières constructions sur la place.
1763 : La Plaine prend le nom de Place royale
Lorient avec ses quartiers désormais bien délimités en 1771
1790 : Sous la Révolution, son nom change pour devenir la Place de la Fédération (elle accueille la guillotine durant la Révolution où 41 personnes, prêtres réfractaires pour la plupart, y furent guillotinées après jugement réalisé dans la chapelle de la Congrégation située Rue de la Patrie qui sert de tribunal révolutionnaire).
1793 : Place de la Montagne.
1805 : Place Napoléon.
1814 : Place de la Plaine.
1858 : Place Napoléon III (on y a par ailleurs élevé en 08/1858 une salle de bal, lors de la venue à Lorient de l’Empereur Napoléon III et de l’Impératrice Eugénie).
1871 : Place Alsace-Lorraine. L’Alsace-Lorraine est le territoire cédé par la France à l’Empire allemand, en application du traité de Francfort signé le 10 mai 1871, après la défaite française. Bien qu’une petite partie de l’Alsace (l’arrondissement devenu Territoire de Belfort) et la plus grande partie de la Lorraine soient restées françaises, un grand nombre de rues, avenues, boulevards, places et cours ont été baptisés du nom « d’Alsace-Lorraine » dans la France entière dès 1871, en mémoire des régions perdues. Le traité de Versailles du 28 juin 1919 a restitué à la France l’Alsace et la Lorraine telles qu’elle les possédait avant la guerre de 1870.
De 1871 à 1939 : les grands magasins
C’est la place la plus prestigieuse et la plus centrale de la ville. Elle est modernisée au XIXème siècle : les vieilles habitations sont détruites et remplacées par des immeubles de standing : des établissements sélects comme Le Grand café (1866-1932) s’y installent. Centre de la vie politique, la loge maçonnique s’y réunit, et Félix Faure s’y arrête lors de la visite présidentielle de 1896.
Tout comme les grands hôtels de la ville : Le « Grand hôtel de France » possédait une certaine réputation auprès de la clientèle bourgeoise (Stendhal le recommande en 07/1837, Flaubert en 1848…).
Et surtout les grands magasins : A l’emplacement même où se trouve notre appartement était installé les Modern’ Galeries, à l’angle de la rue de la Patrie et de la place Alsace-Lorraine.
En 1922, le magasin Saint-Rémy le succède : tissus, rouennerie, nouveautés… ainsi que tailleurs et confectionneurs sont à la disposition de la clientèle pour les vêtements sur-mesure.
Le « Fashion House » était un commerce de chapellerie-chemiserie. Il fut détruit par un violent incendie en mai 1938.
Le kiosque à musique est inauguré en 1888 pour être remplacé par un kiosque plus moderne en 1932. Tous les dimanches, des concerts militaires ou civils y sont donnés durant la belle saison. Celui-ci a résisté aux bombardements et a été démonté en 1957 par les urbanistes qui l’ont jugé ne pas correspondre au nouveau style de la place.
Outre les grandes fêtes et évènements en tout genre, la place accueille les marchés chaque mercredi et samedi : mon arrière-grand-père s’y rendait avec sa charrette depuis Guidel pour vendre ses fruits et légumes (le vendredi était réservé au poisson).
De 1939 à 1945 : les bombardements
La place Alsace-Lorraine fut la première victime des bombardements. L’abri anti-aérien (25 mètres sur 14,4 mètres) fut mis en service en août 1941 pour protéger la population du quartier (jusqu’à 400 personnes) pendant les alertes de bombardements. Ce mémorial de la ville détruite se visite encore aujourd’hui, on peut même y voir une maquette de ce qui restait de Lorient suite aux bombardements (10% de son bâti ancien).
C’est le Café de Paris qui occupait cet angle de la Place Alsace-Lorraine et de la rue de l’Assemblée Nationale jusqu’au 26 janvier 1943. Ce jour-là, il est entièrement détruit par les bombardements aériens explosifs et incendiaires.
En février 1943, le centre de la ville est rasé à 90 %.
De 1945 à 1955 : la reconstruction
Dès la fin de la guerre, l’église Saint-Louis ayant été anéantie, on construit une chapelle en bois sur la place Alsace-Lorraine dédiée à Notre-Dame-de-Victoire. Au même moment, sont installés les baraquements sur la place.
Le remembrement terminé, la Reconstruction démarre en mars 1949 avec la première pierre rue du port. Le 23 avril 1950 est marqué par la visite à Lorient, du Président de la République, Vincent Auriol, venu remettre la Légion d’Honneur à la Ville martyre. Il pose ce qui devait constituer, officiellement, la première pierre de la «Reconstruction» de Lorient, où le « Café de Paris » occupait cet angle de la Place (aujourd’hui la brasserie « Le Vauban » au n°7 où cette pierre est toujours bien visible – voir photo en bas de cette page -).
Plus de 200 entreprises ont été mobilisées pour reconstruire Lorient dont 3 500 de ses 5 000 immeubles étaient ruines. On a recours au béton de façon systématique, un matériau moderne assez peu usité avant-guerre à Lorient.
L’ensemble de la place Alsace Lorraine fait partie des éléments remarquables de la ville reconstruite et fait partie des premières décisions de la reconstruction. Cette place devait être un lieu de prestige gardant à la fois son tracé ancien mais utilisant les techniques de construction nouvelles, à savoir celles du béton armé et la préfabrication des éléments de façades. Elle a donc un caractère exemplaire et devait servir de modèle d’urbanisme pour la ville future. A la fois par sa morphologie et le gabarit des bâtiments, mais également pour les méthodes de construction employées (il s’agit ici des premiers pas de la préfabrication et de la normalisation des éléments de construction).
La place est l’une des plus anciennes de la ville, seule la direction des rues qui la cernent a évolué à la reconstruction : dessinées en étoiles autrefois, elles se simplifient autour de la place carrée. Dans le premier règlement d’urbanisme, elle fait partie des sites de prestige auxquels s’appliquent « une discipline d’architecture » et où l’utilisation de la pierre était obligatoire pour rappeler la région. Le traitement du sol, sur une trame de granit, est destiné à la mise en valeur de l’église.
L’Église Notre-Dame-de-Victoire a été construite de 1953 à 1956 par Jean-Baptiste HOURLIER (1897-1987 – Premier grand prix de Rome, il fut l’architecte principal de la reconstruction de Lorient dés 1946) pour remplacer l’église Saint-Louis, détruite à quelques centaines de mètres de là. C’est une prouesse technique de granit et de béton couverte d’une vaste coupole de 24 mètres de diamètre et d’un clocher de 54 mètres de haut. La verticalité du clocher placé en angle de la place s’opposent à l’horizontalité des immeubles. Ce style plutôt inhabituel pour une église à l’époque a déconcerté de nombreux lorientais au début. D’ailleurs, interrogez encore aujourd’hui un lorientais au hasard dans la rue, il vous répondra sûrement que l’église de Lorient se nomme Saint-Louis.
De 1956 à aujourd’hui
Par arrêt du Ministre de la Reconstruction, la société « SAINT-RÉMY » se voit attribuée cet immeuble fraîchement construit en date du 23/07/1956. L’aspect de l’immeuble se doit robuste tout en étant lié à une technique de construction complètement novatrice. L’habillage des façades, l’entourage des fenêtres et les corniches sont préfabriqués puis montés sur une ossature en béton. On trouve par ailleurs un bas-relief de Saint-Rémy sur sa façade à l’angle du premier étage : elle a été sculptée par Jean-Paul LUTHINGER en 1951 afin de maintenir le souvenir du grand magasin.
Vers 1959
Les lorientais s’installent par la suite dans ces résidences d’habitations avec leurs commerces au rez-de chaussée. L’ensemble immobilier dont dépend l’appartement d’Au fil de Lorient a fait l’objet d’un état descriptif de division et règlement de copropriété en 07/1989. La société BURTON (du magasin Burton of London), qui existe sur Lorient depuis 12/1994, a acquis ce lot dans la résidence en 12/2004.